Promo sur le saumon
Un tour dans le papier, un pli en haut, un pli en bas, le sac plastique, un noeud, « merci à vous et bonne journée ». Combien de darnes de saumon avait-il vendu aujourd’hui ? 10 ? 20 ? Suffisamment pour avoir envie d’une douche et d’un whisky devant la télé.
Encore une heure.
Pourtant, c’est un métier sympa poissonnier. Mais pas celui qu’il voulait faire. Mais pas dans un de ces supermarché qui essaye de convaincre ses clients que 100 néons peuvent remplacer la lumière du jour.
Déjà 8 mois.
L’odeur du poisson, au début ça allait. Maintenant, il ne sent plus que ça. Partout, tout le temps. Même son Clan Campbell sent le poisson. Même son oreiller. Cet été, ce sera montagne ; hors de question d’aller voir la mer. Si encore il a les moyens de partir quelques jours.
Quarante minutes, deux bus.
Sa voiture a été saisie presque tout de suite. Puis ça a été la maison. Dans quelques mois, elle sera vendue et ses dettes seront épongées. Avec un peu de chance, il y aura du surplus et touchera quelques billets. Bof, peu d’espoir. Bientôt un an que personne ne veut de cette ruine. La vente ne va pas rapporter grand chose. Le terrain peut-être. Qui sait ? Pas lui en tout cas, il n’y connais rien en immobilier, n’y comprend rien et refuse de s’y intéresser. Que la banque se démerde.
Si les gens savaient à quel point il est facile d’y passer de bons moments, dans cette vieille bicoque, ils achèteraient ! Mais elle est frappée du seau de l’infamie, de la disgrâce, de ce qu’il y a de pire au monde : la faillite. L’absence de putain de pognon. Les rires, les joies, les petits-déjeuners au lit, les soirées prêt de la cheminée, les tartes aux pommes, les films regardés l’un contre l’autre… pas côtés en bourse, pas de valeur sur le marché.
Parce que oui, il y a eu tout ça avant le rayon poissonnerie et la solitude d’un quinze mètres carré au sixième étage sans ascenseur. Il devrait s’aérer, le whisky le rend nostalgique. Il se contorsionne au dessus de l’évier pour allumer une cigarette à la seule fenêtre de son bocal.
Encore un verre, le téléfilm est particulièrement nul ce soir. L’étudiante d’à côté a un nouveau copain. Ça l’excite un peu. Boules Quies, branlette, et il s’endort.
Pas de rêve, pas de gueule de bois, un café, et le Stérimar a dû faire son effet car l’odeur omniprésente de poisson a disparue. Ou alors est-ce son odorat qui a disparu ? Le café non plus ne sent pas grand chose… Peu importe, il est de toute façon et évidement à la bourre : le bus passe six étages plus bas dans quelques minutes. Un toute les demie-heures, prendre le suivant lui vaudrait un avertissement.
Terminus. Il suit le banc de travailleurs qui va s’entasser dans sa correspondance. Direction la zone commerciale, Shopping Soleil. Combien sont-ils dans cette boîte de sardine qui grince à chaque virage ? 50 ? 60 ? Tout autant de caissiers, de magasiniers, de manageurs, d’employés polyvalents et de vendeurs-conseillés ; tous prêts à gagner leur vie. Bien fermes sur les appuis, le dos droit et le sourire au lèvre. On laisse les soucis au vestiaire.
Vider. Couper la tête. Vider. Couper la tête. Il séparera les filets dans quelques minutes. Il commence à être plutôt bon. La cheffe arrive, l’étale est presque en place, les portes vont s’ouvrir. Un tour dans le papier, un pli en haut, un pli en bas, le sac plastique, un noeud, « merci à vous et bonne journée ».
Quarante minutes de pause.
Il va chopper un sandwich triangle au rayon frais – poulet ; le thon, il ne peut plus le voir en peinture – et une pomme. Ou une banane ? Allez, une banane. Il y a un peu plus de monde, mais il prend la file de la caisse d’Agathe. Il aime bien Agathe, il voudrait l’inviter un soir. Mais, déjà, avec quel argent ? Et puis, imaginons – rêvons ! – que le restau se passe bien, il ne va tout de même pas la ramener chez lui ! « Héhé, oui, six étages à pieds, c’est pour l’échauffement. Haha, en effet, le matelas est au sol mais on y dort bien. Chut, ne faisons pas trop de bruit, les murs, c’est du papier à cigarette. Ah oui, pour accéder à la douche, il faut enjamber les toilettes. Non, il n’y a pas de porte à la salle d’eau. Il y avait un vieux rideau pliant en plastique, mais il était tout pété, je l’ai retiré ». Alors il se contente d’un bonjour, de quelques mots et d’un sourire.
Il déjeune sur le parking et le flot de la routine emportera sa journée. Mais putain, elle est où la cascade ? Ils sont où les rapides ? Ils sont où ses clapotis ?
Couper. Vider la tête. Un verre de whisky et l’écran qui ne laissent pas la place à ses pensées.
Je viens de terminer une histoire inachevée de saumon et de poissonnier en me disant que les saumons ont forcément des aventures à partager. Entres les océans et les rivières, ils font des sauts dans le passé, des ronds dans l,eau et ils se reproduisent sans le soucis de terminer dans nos assiettes, entre les pattes d,un ours qui a faim ou d,un poissonnier qui ne connaitra pas la fin de son histoire. Serait-il possible de demander à l,auteur de ce texte de faire en sorte qu,un ours trop gourmand mangent tous les saumons pour que l urbain de cette histoire ne devienne jamais poissonnier…. mais pourquoi pas écrivain et qu,il termine ces nouvelles sans fin!?